| | Moumen Smihi est né à Tanger au Maroc en 1945. Il fait des études supérieures à Paris à l'IDHEC (Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques). Il a également travaillé dans l'enseignement, le journalisme et l'assistanat à la télévision en France. Pourquoi filmez-vous? Faire des films est devenu pour moi l'ambition et la tentation (naïveté sans doute) de l'universalité: c'est le désir d'introduire, de glisser dans l'énorme machine spéculaire et invocante, quelques images et quelques sons de ma culture, de mes lieux culturels: Maroc, arabité, Islam, colonisation, naissance à la modernité, relecture de l'héritage culturel, terreurs et impératifs du sous-développement. Je filme et veux filmer pour réaliser un désir étoilé et multiple: Désir de discours autobiographique (un sujet, un pays, une ville, un groupe socio-culturel). Désir esthétique: traiter, pratiquer l'écriture par l'image et par le son, tout en l'alimentant par les apports de l'Histoire de l'esthétique arabo-musulmane. Désir analytique si l'on peut dire: m'interroger et interroger par rapport à l'ordre de l'image, à l'ordre de la voix. Par exemple: voir et réaliser que le tournage d'un film correspond à un lieu de croisement de l'hystérie, du pouvoir, de l'argent et de la violence, du défi et de la provocation du réel. Par exemple: que l'image-son, que le film se lisent selon une modalité proche de l'écoute psychanalytique (qu'est-ce que ça me dit, ce film?) irriguée de l'immense plaisir (et parfois jouissance) esthétique. Mais pourquoi je continue à désirer filmer alors que la situation (chez moi comme dans le monde) de l'image et du son est si dure, torturante, impossible? Parce que j'ai la foi. Je crois, religieusement, au sens étymologique, que la civilisation passe à l'ère de l'image-son (après l'écrit, après l'oral), que l'Histoire du cinéma (brièvement, à peine un siècle) a révélé les nouveaux plaisirs: des récits, des formes, des genres (des messages et des tâches, même). Certaines sociétés (surtout dans le Tiers-Monde) en sont à peine à approcher cette découverte. Il n'y a de civilisation, il n'y a de jouissance de la vie, il n'y a de parade à la mort, pour l'homme (pour le metteur en scène), que dans le geste de renouveler, toujours, les signes. | | Moumen Smihi Réponse à Libération Numéro Hors-Série "Pourquoi filmez-vous?" Paris. | | |